Emploi : nette dégradation du moral des décideurs
Ce début d’année 2020 aurait pu être l’occasion d’un enthousiasme économique reconquis, notamment à la faveur de plusieurs indicateurs économiques en progression. Pourtant, cette nouvelle livraison du Baromètre des décideurs Viavoice, HEC Paris, Le Figaro, BFM Business révèle un tout autre scénario : le moral des décideurs est orienté à la baisse, entraîné par une nette dégradation des anticipations en matière d’emploi, dans un contexte de crise sociale et des défiances politiques.
Un moral économique en berne : pessimisme croissant sur le front de l’emploi
Il y eut certes une embellie de plusieurs indicateurs économiques : croissance française supérieure à la moyenne européenne, légère baisse du nombre de chômeurs, augmentation significative du nombre de créations d’entreprises.
Cependant, l’indicateur du moral des décideurs perd 3 points par rapport à novembre 2019 pour s’établir à -22 et retrouve ainsi son score de mars :
En matière d’emploi, les décideurs sont de plus en plus inquiets : 44 % d’entre eux anticipent une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi, soit 15 points de plus qu’en novembre ;
Concernant le niveau de vie, 56 % des décideurs anticipent une dégradation en France dans l’année qui vient (+19 points par rapport aux données enregistrées en novembre). Mais prévaut ici une polarisation, puisque la proportion de décideurs confiants en la matière progresse également (27 %, + 8).
L’exécutif paie le prix du climat général, si délabré au cours des dernières semaines : mouvements sociaux depuis le 5 décembre, esprit public particulièrement tendu, défiances politiques agrégées. Ce faisceau de facteurs donne à voir une France bloquée, d’autant plus après la « crise » des Gilets jaunes, nourrissant pour l’avenir l’imaginaire d’un pays enlisé. Singulier retournement de l’histoire à l’heure où le président de la République entend faire valoir la réforme des retraites comme l’acmé de sa volonté réformatrice, et de sa capacité à remettre le pays en mouvement.
En contrepoint, les bataillons les plus enthousiastes ou les plus promoteurs de la « mise en marche » macronienne se mobilisent également, nourrissant une polarisation croissante pour l’avenir.
Politique de l’emploi : un impact encore peu perçu
Concrètement, force est de constater que, sur le plan de l’emploi, les politiques mises en place ont eu un impact peu perçu par l’opinion. Les résultats du Baromètre attestent d’un alignement des perceptions entre décideurs et grand public à ce titre :
- 58 % des décideurs et du grand public estiment que les mesures prises depuis 2017 pour fluidifier le monde du travail et lever la peur à l’embauche n’ont pas eu d’effet sur le nombre de demandeurs d’emplois, malgré des chiffres officiels plutôt encourageants ;
- Plus encore, 65 % des décideurs et 68 % du grand public doutent de la capacité du gouvernement à poursuivre la baisse du chômage et à atteindre les objectifs affichés.
Des appréhensions divergentes des solutions et des mesures proposées
Concernant les mesures proposées par l’exécutif en faveur de l’emploi à travers la nouvelle Convention d’assurance chômage, des divergences d’appréciations prévalent.
Les décideurs plaident d’abord pour un cadre législatif plus contraignant : 50 % jugent positivement le durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation ;
Le grand public préfère sanctionner les entreprises par un système de bonus-malus pour limiter la rupture de contrats-courts. Pour l’avenir, les mesures souhaitées pour réduire le chômage se déploient sur deux directions :
- Autant les décideurs que le grand public s’entendent sur la nécessité de préserver l’emploi des seniors en favorisant leur embauche ;
- Le grand public escompte surtout une augmentation du pouvoir d’achat par une revalorisation du Smic ; les décideurs des allègements de charges sur les bas salaires pour faciliter l’embauche par les entreprises.
Faux plat et tension extrême, ainsi peut-on caractériser ce début d’année 2020. Faux plat car les hirondelles des améliorations économiques ne suffisent pas à créer un printemps d’opinion. Tensions extrêmes entre un exécutif déployant sa volonté réformatrice, en regard d’un pays qui pour une part fait le dos rond et pour l’autre accroît son pessimisme.
Le macronisme s’invente avec le temps. Aujourd’hui, cette « marche » là se fait littéralement contre le vent.
François Miquet-Marty et Stewart Chau