Prix de la Fondation ManpowerGroup / HEC Paris : les dessous de la technologie numérique
L’exploitation des métaux rares et l’expansion de l’intelligence artificielle menaceraient-elles notre monde ? L’une comme l’autre constituent pourtant les fondements mêmes des avancées actuelles des nouvelles technologies et des énergies renouvelables. Une tension qui est au cœur des deux ouvrages ayant remporté les trois prix littéraires de la Fondation ManpowerGroup / HEC Paris, qui ont été remis le 4 octobre 2018 en présence des auteurs. L’occasion d’entendre des propos sobres mais marqués par l’urgence, notamment au travers des discours des lauréats : ils ont dressé le sombre bilan d’un monde qui paraît accélérer sa course vers le précipice.
Les deux jurys du prix de la Fondation ManpowerGroup / HEC Paris ont parcouru plus de 150 ouvrages, publiés par 41 éditeurs, pour attribuer leurs prix qui, depuis 1996, récompensent des livres cherchant à susciter des débats de fond sur les enjeux liés à l’entreprise et à la société. Depuis 2008, date à laquelle HEC Paris s’est associée à cette initiative, le Président de la Fondation ManpowerGroup, Christian Boghos, s’efforce d’ouvrir les prix aux mutations qui bouleversent notre monde : « je ne peux que constater que les œuvres récompensées sont des baromètres des débats à venir, » a-t-il souligné à l’issue de la remise des prix. « Elles cristallisent les préoccupations de notre époque et, comme nous l’avons vu cette année, c’est loin d’être politiquement correct. Il est essentiel qu’HEC nous accompagne dans cette mission d’éclaireur. »
Le premier livre du journaliste indépendant Guillaume Pitron, « La guerre des métaux rares » (publié par les éditions Les liens qui libèrent en janvier 2018) s’attache en effet à montrer, comme l’indique son sous-titre, « la face cachée de la transition énergétique et numérique ». Il a reçu le prix spécial du jury et celui des élèves d’HEC Paris, une première depuis la création de prix il y a 23 ans. C’est donc une double consécration qui vient récompenser six années d’enquête effectuées dans une douzaine de pays autour de ce que Guillaume Pitron dénonce comme « une transition énergétique paresseuse ». Déjà récompensé en 2017 par le prestigieux Prix Erik Izraelewicz pour son enquête « Braderie forestière », parue dans Le Monde Diplomatique fin 2016, Guillaume Pitron se focalise avec cet ouvrage sur l’exploitation des métaux rares, qui sont indispensables à de nombreux vecteurs de la transition écologique comme les moteurs électriques, les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques. « L’extraction de ces métaux provoque des coûts pour notre environnement qui sont méconnus, » explique-t-il sobrement. « Mon livre expose la face noire de notre mondialisation heureuse. C’est en quelque sorte la déconstruction de l’histoire de l’écologie, au cours de laquelle on s’est parfois laissé emporter par cette idée que l’offre et la demande viendraient s’équilibrer. Ce n’est pas le cas. Il faut inclure le coût global de l’extraction de ces métaux, ajouter les coûts sociaux et environnementaux, ainsi que le bouleversement du modèle économique et la notion éthique de solidarité. »
Succès commercial
« La guerre des métaux rares » s’est d’ores et déjà vendu à plus de 30.000 exemplaires. « C’est tout simplement remarquable pour un sujet qui traite un angle mort de notre monde, encore ignoré et pourtant urgent, » note son éditeur, Henri Trubert. « Guillaume propose une réflexion fondamentale. Il a commencé cette enquête sans idée préconçue, et a maintenu une approche intellectuelle honnête et irréprochable, malgré ses révélations qui sont de véritables tremblements de terre. » Henri Trubert se félicite que le livre ait séduit non seulement un jury de professionnels expérimentés, mais aussi une génération d’étudiants avec des questions « qui ne sont pas évoquées dans leurs cours ». « Ce travail dérange toutes les générations et pourrait provoquer une révision fondamentale de notre approche des transports, de l’énergie et de notre dépendance technologique à des objets de notre quotidien, comme les smartphones. »
Corrosif mais argumenté
Des bouleversements qui font écho au contenu du livre de Laurent Alexandre, « La guerre des intelligences : intelligence artificielle versus intelligence humaine » . L’écrivain a reçu le grand prix du jury 2018 grâce à son plaidoyer en faveur d’une révolution de notre système éducatif, pour répondre aux avancées de l’intelligence artificielle. « L’immense défi qui est face à nous est la conséquence d’une politique d’industrialisation de l’IA sans l’effort de démocratiser l’intelligence biologique, » a-t-il lancé aux invités de la remise des prix au cours d’un discours d’une rare énergie. « C’est une faute politique, philosophique, morale, qui nous retombera dessus ! Il faut que l’on se secoue et vous, les DRH, vous êtes au cœur de cette problématique. Car vous allez gérer cette interface entre l’IA et l’intelligence biologique en fusionnant avec les départements informatiques. »
La tribune offerte au neurobiologiste, ancien d’HEC (1990) et fondateur de Doctissimo, est une innovation proposée cette année par Christian Boghos. Le président de la Fondation ManpowerGroup tenait à offrir au public présent pour la remise des prix une vision qu’il qualifie de « corrosive, mais argumentée. » L’ancien diplômé de l’ENA, est devenu un spécialiste des révolutions technologiques et de leurs enjeux. « La guerre des intelligences » est son troisième ouvrage, aux éditions Lattès.