Ressemblons-nous à notre prénom ? Une récente étude menée par HEC Paris montre que notre visage est à l’image de notre prénom.
Si vous vous appelez Amandine, est-ce que vous ressemblez à une « Amandine » ? C’est tout à fait possible—en tout cas, beaucoup le pensent. C'est le résultat de l'étude très originale menée par Anne-Laure Sellier, Professeure à HEC Paris et ses co-auteurs, qui ont constaté que les stéréotypes culturels autour des prénoms peuvent conduire à des changements réels dans l'apparence du visage.
La recherche menée par l’ Hebrew University of Jerusalem, HEC Paris et IDC Herzliya, et publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology, montre que les gens sont étonnamment capables de deviner le prénom qui correspond au visage d'une personne qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n'ont jamais vu auparavant, bien au-delà du facteur chance. L'étude montre également que les ordinateurs peuvent être programmés pour reconnaître le prénom d'un visage, à un niveau qui diffère significativement du facteur chance.
La presse internationale comme le Times, New York Magazine, Wall Street Journal, et le Huffington Post… ont largement relayé ces résultats surprenants. De quoi s’agit-il exactement ?
Les chercheurs ont mené une série d'expériences impliquant des centaines de participants en Israël et en France. L’exercice était simple, chaque participant se voyait présenter des photos d’inconnus et il/elle devait sélectionner le prénom correspondant au visage à partir d'une liste de quatre ou cinq prénoms. Dans chaque expérience, les participants trouvaient le prénom plus précisément (entre 25 à 40% de de réussite) du visage correspondant que de manière aléatoire (20 ou 25% de réussite selon l'expérience), même lorsque l'ethnicité, l'âge et d'autres variables socio-économiques étaient contrôlés.
Les chercheurs expliquent que l'effet est partiellement dû à des stéréotypes culturels qui sont associés à des prénoms, et qui sont spécifiques à chaque culture. Dans une expérience menée avec des étudiants en France et en Israël, les participants ont reçu un mélange de visages avec des prénoms français et israéliens. Les étudiants français étaient meilleurs pour reconnaître le prénom des visages français, mais ne parvenaient pas à reconnaître le prénom des visages israéliens au-delà du facteur chance; Et à l'inverse, les étudiants israéliens ont su reconnaître les vrais prénoms des visages israéliens au-delà du facteur chance, mais pas ceux des visages français. Cela démontre qu'une société donnée partage un même stéréotype correspondant à un visage pour un prénom donné. En d’autres termes, en France, nous partageons un stéréotype du prénom Véronique, et les Véronique font évoluer leur visage vers ce stéréotype, que seuls les Français savent ensuite reconnaître.
Les algorithmes confirment ces résultats
Dans une autre expérience, les chercheurs ont utilisé le machine learning, afin de voir si l’ordinateur pouvait lui aussi reconnaître le vrai prénom des personnes au-delà du facteur chance. Plus de 94 000 photos de visages ont été utilisées. L'ordinateur était également beaucoup plus précis (54 à 64% de précision) pour réussir par rapport à la chance (50 % de précision). Cela signifie que les gens portent leur prénom sur leur visage, et que l’effet ne provient pas de quelque biais humain provenant de la personne qui choisit le prénom.
Le phénomène peut s’expliquer par le fait que les gens modifieraient inconsciemment leur apparence pour se conformer aux normes culturelles--c’est-à-dire à l’image que les gens se font d’eux, selon Yonat Zwebner, actuellement en post-doc à l’Université de Wharton et auteur principal de l’article.
"L’impact de certains stéréotypes comme l'ethnicité et le genre est connu--nous devenons ce que les gens attendent de nous", a déclaré Zwebner. "Des recherches antérieures ont montré qu'il y a des stéréotypes culturels attachés aux prénoms, y compris sur notre apparence physique. Par exemple, imaginons une personne qui s’appelle Claire, nous avons tendance à l’imaginer avec tel attribut…. En effet, nous croyons que ces stéréotypes peuvent, au fil du temps, affecter l'apparence, le visage des gens. "Cela s’appuie sur les résultats d'une expérience montrant que les zones du visage qui peut être contrôlée par l'individu, comme la coiffure, ont été suffisantes pour produire l'effet.
"Tous ces résultats suggèrent que l'apparence physique est à l’image du prénom d’une personne et des attentes sociales qu’induit ce prénom. Nous n’avons pas la même représentation d’une personne qui se prénomme « Eléonore » que d’une autre jeune femme qui s’appelle « Doria ». Nous suggérons qu’une étiquette sociale peut influencer l'apparence du visage », a déclaré la co-auteur Ruth Mayo, chercheur à la Hebrew University of Jerusalem. «Nous sommes soumis à une structuration sociale dès la naissance, non seulement par le genre, l’ethnie et le statut socio-économique, mais aussi par le simple choix qu’on fait nos parents en nous donnant tel ou tel prénom. »
L’utilité et l’exploitation de cette recherche
Certaines entreprises ont déjà pu déceler le potentiel de cette étude. «J'ai reçu des commentaires de la part d’entrepreneurs high-tech, qui y voient des opportunités de segmentation en ligne» déclare Anne-Laure Sellier, professeur de marketing à HEC Paris. « Par ailleurs, le mécanisme que nous identifions ici ne s'arrête pas seulement aux prénoms, mais peut inclure tout ce que nous utilisons pour signaler que nous appartenons à un groupe spécifique. »
« C'est spéculatif pour l'instant, mais de manière similaire nous pourrions éventuellement reconnaître un utilisateur fidèle d'Apple, ou pouvoir identifier le parfum spécifique d’une personne ayant choisi de porter ce parfum pendant des années. En résumé, ce que nous avons identifié est une célébration du fait que nous sommes des êtres profondément sociaux, qui aspirons à répondre aux attentes de notre société. Quelles que soient ces attentes, même si cela signifie simplement de ressembler à une Sophie ou à un Jean. Si nous nous conformons à l’image de nos prénoms, nous pourrions éventuellement nous conformer à d’autres critères qui rendent plus visibles notre appartenance à un groupe. Nous aspirons continuellement à être reconnaissable par les membres de notre tribu.»
Journal of Personality and Social Psychology
We Look Like Our Names: The Manifestation of Name Stereotypes in Facial Appearance - Publication en ligne, 27 février, 2017
Les auteurs de cette recherche, en partie financée par la Foundation HEC à Paris, sont Anne-Laure Sellier from HEC Paris; Nir Rosenfeld of the Hebrew University of Jerusalem; and Jacob Goldenberg from the Interdisciplinary Center (IDC) Herzliya and Columbia University in New York.