Cas Birkenstock : une introduction en bourse manquée décryptée par Franck Ceddaha
Le business case ou le cas reste l’une des méthodes pédagogiques phares à HEC Paris. En plus de proposer des exemples concrets des défis rencontrés par les entreprises, les cas permettent d’appliquer de façon pratique les enseignements reçus tout en traitant des sujets contemporains. Franck Ceddaha, Professeur affilié de Finance à HEC Paris, rebondit en effet continuellement sur l’actualité financière mondiale. Lors d’une récente Masterclass, Professeur Ceddaha a analysé le cas Birkenstock, qui représentait le parfait cas d’école…
En octobre dernier, le fabricant allemand de sandales haute gamme a en effet manqué son premier jour de cotation à la Bourse de New York. Un flop qui n’a pas échappé aux professionnels de la finance. Franck Ceddaha, Directeur académique du Global Executive Master in Management - Majeure Finance, a ainsi tenté de répondre à la question suivante en présence de cadres et dirigeants des secteurs bancaire et financier : “ Que fallait-il choisir entre le confort d’une paire de Birkenstock et l’achat de deux actions Birkenstock lors de son introduction en bourse en Octobre dernier ? ”
Birkenstock : une introduction en Bourse contrastée
L'introduction en Bourse (IPO) de Birkenstock au cours du deuxième semestre 2023 a indéniablement marqué les marchés financiers, et donc les esprits. La notoriété de la marque - décuplée par le succès du film à succès Barbie - et l'importance financière de cette opération ont en effet suscité un intérêt considérable. Dans un contexte financier complexe, l'IPO réalisée soulève des questions sur les conditions et les modalités de cette opération.
Contexte et historique
Entreprise allemande fondée en 1774, puis acquise en 2021 par le fonds américain L Catterton, un fonds étroitement lié à la famille de Bernard Arnault, Birkenstock entretenait, par ce parrainage luxueux, l’espoir de se doter d’une marque de luxe, tout au moins d’en épouser la croissance. L'objectif de cette acquisition visait à repositionner la marque en tant que marque premium avec une expansion vers le retail direct, l'ouverture de points de vente internationaux et une mise en avant du design à travers des boutiques en propre et une plateforme digitale performante.
Depuis cette acquisition, la croissance de Birkenstock a été significative, atteignant un chiffre d'affaires d'un milliard avec 30 millions de paires vendues en 2022 et 6 200 collaborateurs. Ces chiffres ont été tirés par le début de l’ouverture de la marque à l’international. En somme, tous les voyants semblaient au vert pour une introduction victorieuse à la Bourse de New-York.
Détails de l'IPO
Loin de passer inaperçue, l’introduction s’est déroulée tout récemment, le 10 octobre 2023. Birkenstock Holding a cédé 32,26 millions d’actions au prix de 46 dollars, soit dans le milieu de la fourchette indicative de 44 à 49 dollars. Cette opération devait lui permettre de lever 1,48 milliard de dollars. Le fabricant de sandales, dont les produits sont de plus en plus en vogue, était ainsi valorisé à 8,6 milliards de dollars. Penser qu’un fabricant de sandales allemandes au design rustique pouvait valoir plus de 8 milliards d’euros en Bourse ne semblait donc pas poser de problème.
Focus sur la performance financière : quand Birkenstock a trébuché
Dès le premier jour de cotation, la valeur a chuté de près de 13 % : une des plus mauvaises performances de l’année. La barre semblait un peu trop haute avec une valorisation de huit fois son chiffre d’affaires et de quatre-vingts fois son résultat net.
Pourtant Birkenstock se distingue en tant qu'entreprise à croissance rapide avec une marge d'EBITDA (BAIIA: Bénéfice Avant Intérêts, Impôts et Amortissements) solide, atteignant environ 34 à 35 %. La croissance soutenue au cours du semestre 2023 souligne la robustesse de l'entreprise, malgré une légère baisse du résultat d'exploitation à 17 %. L'utilisation de l'actif économique met en évidence la prédominance d'immobilisations et d'immobilisations incorporelles, avec un accent particulier sur le Besoin en Fonds de Roulement (BFR) représentant environ un tiers de son chiffre d'affaires.
Analyse de l’allocation des fonds de l'IPO
Une partie importante de l'IPO a été allouée à des cessions d'actions existantes, indiquant un désengagement des actionnaires actuels. Seulement un tiers des fonds levés contribue directement au financement de l'entreprise, tandis que les deux tiers servent à rembourser une partie de la dette existante. Cette stratégie soulève des questions quant à la vision à long terme de l'entreprise et à son potentiel de croissance future.
Le jour de l'IPO, la valorisation de Birkenstock atteignait près de 10 milliards d'euros, correspondant à des multiples élevés de l'EBITDA (23,6 fois) et du résultat d'exploitation (30 fois). Cette évaluation, bien que jugée agressive, reflète la confiance des banques dans la croissance et le prestige de la marque, l’avenir nous dira si le marché suit.
Perspectives post-IPO
La performance boursière post-IPO a été mitigée, avec une diminution du cours initial de 46$ à 40,20$. La réduction de la dette par les fonds levés pourrait fournir une marge de manœuvre financière, bien que l'incertitude persiste quant à l'utilisation efficace de ces ressources.
L'IPO de Birkenstock a mis en lumière des choix stratégiques contestables, tels que la priorisation du remboursement de la dette sur le financement direct du développement de l'entreprise. Les signaux envoyés par les actionnaires existants et la valorisation élevée soulignent les défis auxquels Birkenstock pourrait être confronté sur les marchés financiers mondiaux dans les années à venir : dégager une croissance importante pour ne pas décevoir les investisseurs.
Si le sujet vous a intéressé et que vous envisagez de participer activement à l’orientation financière des décisions stratégiques de votre entreprise, et d’en piloter et mesurer la création de valeur, le Global Executive Master in Management - Majeure Finance est fait pour vous.