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Faire entrer le climat dans les décisions : le rôle stratégique du prix interne du carbone
Et si l’on valorisait enfin les externalités dans les décisions économiques ? Le prix interne du carbone n’est ni une taxe ni une obligation réglementaire, mais un outil de management volontaire à fort potentiel stratégique.

Lors de l’événement HEC Paris Executive Education Day, Anne Frisch, professeure associée à HEC et ex-directrice financière, a partagé son expérience de terrain et ses convictions sur ce sujet encore trop méconnu.
Décider avec ou sans le carbone : un choix de moins en moins neutre
Peut-on encore continuer à piloter son activité sans tenir compte du carbone ? Si la réglementation n’impose pas encore une réponse univoque, la réalité, elle, devient de plus en plus claire.
Une économie aveugle aux externalités
Pendant longtemps, la comptabilité d’entreprise a su tout mesurer – sauf l’essentiel : l’impact de l’activité économ
ique sur le monde réel. Les effets secondaires que sont la pollution, la déforestation, l’épuisement des ressources ou encore l’exploitation sociale ne figurent dans aucun bilan comptable classique.
Ces impacts, qu’ils soient environnementaux ou sociaux, sont ce que les économistes appellent des « externalités ».
"C’est un effet secondaire de l’activité économique d’une entreprise qui n’est pas reflété dans le prix de marché des biens ou services produits ", rappelle Anne Frisch.
Le concept a été théorisé par Arthur Cecil Pigou, au cœur de l’Angleterre industrielle du XIXe siècle, alors que les usines émettaient librement des polluants dans l’air et dans l’eau sans que cela ne coûte rien à ceux qui les exploitaient.
Les externalités peuvent être négatives, comme :
● la pollution industrielle,
● les émissions de gaz à effet de serre,
● le travail des enfants.
Mais certaines externalités sont positives. Créer des emplois dans un territoire stimule des activités connexes, « les gens vont au supermarché, achètent des voitures, construisent des maisons ». De la même manière, une entreprise qui investit dans la R&D « va générer des retombées qui profiteront à d’autres acteurs, même hors de son secteur ». Anne Frisch cite aussi les infrastructures comme la téléphonie mobile ou les routes, « ou encore le Mobile Money en Afrique de l’Ouest, qui a permis de bancariser des millions de personnes ».
Le problème, selon elle, vient de cette invisibilité comptable :
"On ne voit pas le carbone. Et si en plus on ne lui donne pas de prix, c’est comme s’il n’existait pas. Or, ça existe, et c’est un énorme problème."
Sans valorisation monétaire, ces externalités échappent aux arbitrages financiers et stratégiques. D’où l’enjeu, pour les entreprises, de transformer ce qui était jusqu’ici intangible en indicateur de gestion à part entière.
Trois leviers pour donner une valeur au carbone
Pour inciter les acteurs économiques à réduire leur empreinte, trois mécanismes coexistent aujourd’hui.
Premier levier, les taxes carbone sont mises en place par les États pour internaliser le coût environnemental des émissions. En Europe, le système de quotas (EU ETS) en est la principale incarnation. « Il couvre une part significative des émissions industrielles et le prix était autour de 80 euros la tonne au moment de l’étude », indique Anne Frisch en commentant une cartographie mondiale des dispositifs existants.
Mais à l’échelle mondiale, seuls 24 % des gaz à effet de serre émis sont aujourd’hui couverts par une taxe carbone. Et ces initiatives restent fragiles, car soumises à de fortes pressions politiques et sociales :
"Il suffit de penser à ce qu’il s’est passé avec la taxe carbone en France pour comprendre les résistances."
Deuxième mécanisme : les crédits carbone. Ici, pas de contrainte réglementaire. Une entreprise ou un individu peut choisir de compenser ses émissions en finançant un projet vert (reforestation, puits de carbone, etc.). Ces certificats, appelés offsets, s’échangent sur un marché parallèle, souvent de gré à gré. Mais la démarche est sujette à caution : « Il y a eu beaucoup de choses bidon. C’est pourquoi il faut des projets labellisés, certifiés, pour qu’il y ait une vraie traçabilité », alerte Anne Frisch. Cette forme de compensation volontaire, bien qu’encourageante en théorie, reste parfois utilisée comme levier de communication plus que de transformation réelle.
Le troisième levier – le plus transformateur selon Anne Frisch – est le prix interne du carbone (PIC). Ici, aucune obligation réglementaire. C’est l’entreprise elle-même qui choisit d’attribuer une valeur monétaire à ses émissions de CO2 pour intégrer ce coût dans ses décisions.
"Donner un prix à ce qu’on ne voit pas, c’est commencer à le gérer", résume Anne Frisch.
Le PIC n’est qu’un des outils explorés dans le certificat exécutif HEC Paris en management de la performance financière et extra-financière. Une formation en présentiel de 12 jours, animée par Anne Frisch, pour outiller les décideurs face aux nouveaux impératifs ESG. |
Le prix interne du carbone, mode d’emploi
Une méthode simple, concrète, et pourtant puissante pour intégrer les enjeux climatiques au cœur de la gestion d’entreprise.
Comment ça marche ?
Le prix interne du carbone (PIC) permet de valoriser les émissions de gaz à effet de serre (GES) en leur attribuant un prix fictif mais structurant, appelé « shadow price ». Ce prix permet de transformer une externalité invisible en information exploitable.
"Ce n’est pas un calcul très compliqué. On prend les quantités de CO₂ émises, qu’on multiplie par un prix interne, et ça donne le coût des émissions", explique Anne Frisch.
Tonnes de CO₂ équivalent × prix interne du carbone = coût des émissions |
Cette formule simple permet d’introduire une nouvelle ligne « coût des émissions » dans les outils de pilotage de l’entreprise. Dans un compte de résultat, ce coût vient s’ajouter aux postes classiques, comme les frais généraux ou les dépenses R&D. « Cela ajuste le résultat d’exploitation et permet de comparer deux projets non plus seulement à la lumière de leur rentabilité immédiate, mais aussi de leur impact carbone. »
Cette approche peut profondément changer la donne. Par exemple, un projet industriel jusque-là jugé trop coûteux peut redevenir pertinent si on prend en compte les émissions évitées. À l’inverse, une décision en apparence rentable peut révéler un coût climatique rédhibitoire, jusqu’ici ignoré. Mais pour que cet outil soit utile, encore faut-il savoir ce qu’on émet.
Deux prérequis incontournables
« Quand on veut introduire un prix interne du carbone dans une entreprise pour de meilleures décisions, le premier prérequis, c’est de calculer son empreinte carbone. Sinon, on ne sait pas de quoi on parle », prévient Anne Frisch.
Ce diagnostic repose sur une méthodologie désormais largement répandue : le Greenhouse Gas Protocol (GHG Protocol), qui distingue trois périmètres d’émissions appelés « scopes » :
● Scope 1 : émissions directes (procédés industriels, véhicules, etc.)
● Scope 2 : émissions indirectes liées à l’énergie achetée
● Scope 3 : émissions indirectes liées à la chaîne de valeur (matières premières, transport, usage des produits, fin de vie…)
Certaines entreprises vont encore plus loin en évaluant les impacts à l’échelle des produits, grâce à l’analyse du cycle de vie (ACV). Cette méthode est particulièrement utile dans les secteurs à longue durée d’usage, comme la construction ou l’industrie lourde. « Chez Tarkett (entreprise spécialisée dans les revêtements de sols), par exemple, la fin de vie d’un sol posé aujourd’hui interviendra dans 20 ans, souvent chez un autre propriétaire. Comment anticiper les émissions liées à son élimination ou à son recyclage, alors que l’entreprise n’en maîtrise plus ni l’usage ni la gestion ? C’est tout l’enjeu – et la difficulté – du Scope 3 aval, qui englobe l’impact carbone des produits bien après leur vente. »
Bien sûr, attribuer un prix au carbone ne suffit pas : encore faut-il agir pour réduire ses émissions. Le second prérequis consiste à fixer des objectifs de réduction clairs, mesurables et compatibles avec l’accord de Paris.
"Ce n’est pas juste “j’aimerais bien mincir”, plaisante Anne Frisch. Il faut dire combien on veut perdre, à quel rythme, et à quelle échéance."
De plus en plus d’entreprises s’engagent dans des trajectoires validées par la Science Based Targets Initiative (SBTi), qui garantit l’alignement avec les données scientifiques. C’est le cas de Nexans, qui vise une baisse de 46 % de ses émissions (scopes 1 et 2) d’ici 2030, et 30 % sur le scope 3, avant d’accélérer.
"Ces trajectoires doivent être réalistes, spécifiques au secteur, et basées sur la science – pas sur de la com’ », conclut Anne Frisch.
Bon à savoir : le calcul du prix interne du carbone, la structuration d’un compte de résultat ajusté ou encore l’analyse des émissions scope 1, 2, 3 font partie intégrante des cas pratiques abordés dans le certificat exécutif HEC. Formation éligible CPF |
Pourquoi vous ne pouvez plus piloter sans un prix interne du carbone ?
Fixer un prix au carbone, c’est une décision qui transforme en profondeur la manière dont une entreprise décide, investit, communique et embarque ses équipes.
Parce qu’il change la façon d’investir
L’un des usages les plus directs du PIC, c’est son pouvoir d’influence sur les décisions d’investissement. En intégrant un coût carbone dans les calculs de rentabilité, l’entreprise est incitée à arbitrer en faveur des solutions les plus sobres.
Anne Frisch évoque le cas d’une entreprise confrontée à un dilemme : faut-il transformer une chaudière biogaz en chaudière biomasse, plus vertueuse mais moins rentable selon les critères habituels ? En ajoutant un prix interne du carbone au calcul, les émissions évitées deviennent un « gain » pris en compte dans la rentabilité projetée. Résultat : l’investissement devient viable.
Ce type de mécanisme est tout aussi pertinent en R&D, où les horizons de temps sont plus longs. Certaines entreprises, comme Saint-Gobain, appliquent d’ailleurs un prix interne du carbone différencié selon les activités. « Ils utilisaient 50 euros la tonne pour l’industrie, et plus de 100 euros pour la R&D », raconte Anne Frisch.
Parce qu’il prépare à ce que la réglementation va imposer
Utiliser un prix interne du carbone, c’est aussi se préparer à l’évolution du cadre réglementaire. Le système européen de quotas gratuits est en train de se durcir, et le CBAM (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) va progressivement imposer des contraintes aux importations à fort contenu carbone. Le PIC permet de simuler dès aujourd’hui l’impact de ces futures obligations, et d’adapter ses choix industriels avant qu’il ne soit trop tard.
C’est aussi un instrument d’alignement stratégique entre la finance et l’extra-financier. Certaines entreprises ont commencé à traduire cette logique dans leur communication publique. Anne Frisch cite deux exemples pionniers :
● Danone, sous la direction d’Emmanuel Faber, avait expérimenté un bénéfice net par action ajusté du carbone. L’initiative a été abandonnée, mais elle a marqué une tentative audacieuse d’intégration.
● Getlink (le gestionnaire du tunnel sous la Manche) publie aujourd’hui une marge décarbonée, calculée en retranchant une « facture carbone fictive » (basée sur un prix de 200 €/tonne) de son EBITDA. Résultat : une performance à 97 % intacte, et un signal stratégique fort pour les investisseurs.
Parce qu’il mobilise les équipes et crédibilise votre engagement
Le prix interne du carbone transforme aussi les comportements, en diffusant une culture du climat au sein même des équipes.
"Le jour où on vous dit d’intégrer le prix interne du carbone dans les budgets, dans les décisions, ça touche tout le monde. Ça vulgarise le sujet et ça fait changer les comportements."
Chez Saint-Gobain, l’effet a été double : les projets vertueux ont été favorisés, mais aussi les collaborateurs se sont sentis plus fiers et plus engagés dans leur mission. C’est également ce qu’a mis en place Microsoft, en instaurant une forme de « taxe carbone interne » : les business units les plus émettrices doivent contribuer à un fonds qui finance d’autres projets climat.
Enfin, le PIC renforce la crédibilité de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes. Avec l’entrée en vigueur de la CSRD, les grandes entreprises devront désormais publier si elles ont un prix interne du carbone, et à quel niveau. Un prix trop faible – alors que les économistes recommandent des niveaux proches de 300 €/tonne – peut devenir un signal de désengagement. « Ce n’est pas obligatoire aujourd’hui, mais dès qu’on l’inscrit dans un rapport public, avec des ONG et des investisseurs qui scrutent tout, ça devient une question de crédibilité. »
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