"Je cherche avant tout à établir des solutions adaptées à ces situations réelles de vie"
Sokhna Ndiaye est de celles qu'on écoute et qu'on retient. Une voix calme, mais une parole ferme. Une vision claire, mais les pieds bien ancrés dans le quotidien. Quand elle parle de leadership féminin en Afrique, ce n'est pas un concept abstrait : c'est sa vie, son combat, son projet. Et désormais, son campus.

Une chance à saisir
"Tout part de là : je suis le fruit d'un choix courageux que mes parents ont fait pour nous permettre, mes frères et moi, d'accéder à l'éducation."
Le ton est donné. Sokhna Ndiaye grandit au Sénégal, dans une famille où l'éducation est une conquête, pas un acquis. Son père, promis à une carrière de commerçant prospère, abandonne tout pour permettre à ses enfants d'étudier loin des critiques. Une mère pilier, une mentore engagée... Sokhna trouve très tôt ses figures d'inspiration. Elle comprend qu'elle n'a pas seulement de la chance : elle a une responsabilité.
C'est cette conscience qui va orienter toute sa trajectoire. Une formation à l'ISM Dakar, puis un parcours entre la France et l'Afrique, au service de l'enseignement supérieur. Accréditations, certifications, projets de formation : pendant 18 ans, Sokhna fait le pont entre deux continents.
Mais en 2024, tout s'accélère. Le programme Global Executive Master in Management - Majeure Sustainable Leadership in Africa d'HEC Paris agit comme un détonateur.
Cette expérience m'a fait prendre conscience que je devais dégager 100% de mon temps pour mon projet.
C'est le moment. Elle se lance.
Démocratiser le leadership féminin
Le Campus Africain du Leadership au Féminin ouvre au Sénégal. Une initiative ambitieuse, mais surtout nécessaire. "Ce campus est une entreprise émancipatrice, qui se veut visage et voix du nouveau leadership africain", affirme Sokhna. Et pour cause : l'éviction des filles du système scolaire commence tôt. Trop tôt. Le mariage, la vie de couple, les normes sociales viennent freiner leur parcours. Même les femmes diplômées peinent à s'imposer.
Je ne remets pas en cause les traditions. Je cherche à établir des solutions adaptées à ces situations réelles de vie.
Le Campus se veut donc pédagogique, inclusif, accessible. Un lieu de formation, mais surtout un espace de conscience. Faire comprendre aux femmes leur valeur, leur rôle économique, leur pouvoir de transformation — et lutter contre cette invisibilité persistante qui les écarte trop souvent des sphères de décision.
Deux cibles, deux leviers d'action
Sokhna a identifié deux groupes de femmes à accompagner. D'abord, celles qui ont déjà un parcours éducatif ou professionnel mais doivent renforcer leurs compétences en leadership. Ensuite, celles des zones rurales, peu ou pas scolarisées, souvent invisibles dans les politiques de développement.
Il faut aller vers ces femmes, là où elles sont, en tenant compte de leurs contraintes et de leur quotidien.
La structure même du projet reflète cette dualité : une SAS pour financer les formations payantes, et une fondation pour financer les actions sociales. Le financement de ce volet repose sur un montage hybride : il provient de donations privées, de partenariats avec les municipalités, de soutiens publics (comme le Ministère de la Femme au Sénégal), mais aussi d'entreprises engagées. L'objectif est de pérenniser l'accès gratuit à la formation pour les femmes les plus éloignées des circuits classiques.
Un projet déjà en mouvement
La société existe, les premiers tests de formation sont concluants, les partenariats se multiplient. Le lancement officiel aura lieu les 17, 18 et 19 octobre au Grand Théâtre National de Dakar : gala, séminaire, formation intensive. Et une première cohorte, symbole d'un début, baptisée Cohorte d'honneur, y sera officiellement ouverte aux inscriptions.
Ces trois journées ont été conçues pour inspirer, former et connecter les femmes leaders d'aujourd'hui et de demain. Une initiative audacieuse, ancrée dans les réalités locales, pour un impact durable. Sokhna a fait des choix stratégiques : affiner son offre en mode itinérant, répondre ponctuellement aux sollicitations du terrain, structurer l'équipe pédagogique et académique, construire les premiers contenus pour les femmes leaders comme pour le grand public.
Le campus physique sortira de terre d'ici 4 à 5 ans. En attendant, Sokhna déploie un modèle souple, à la hauteur des besoins du terrain, en lien avec les collectivités locales, les ministères, les ONG.
D'HEC à Dakar, un retour à l'essentiel
Le programme Global Executive Master in Management d'HEC a été plus qu'une formation. Pour Sokhna, ce fut un moment de bascule.
J'ai pu formaliser mon projet, bénéficier d'un accompagnement, tester mes idées, affiner mes ambitions.
Mais cette aventure académique s'est enrichie d'une autre dynamique : celle de Lead Campus, le programme itinérant de leadership durable en Afrique. Du Sénégal à la Côte d'Ivoire, en passant par le Maroc, l'Égypte, puis l'Afrique du Sud à Cape Town, Sokhna a participé à une expérience unique : repenser les enjeux du développement durable à travers des modules d'excellence, des immersions culturelles, des visites de sites historiques (comme la prison de Nelson Mandela à Robben Island), et des rencontres avec des entreprises locales à fort potentiel de réplication.
Plus qu'un certificat, Lead Campus est un parcours d'engagement et de co-construction.
Une même ambition l'anime, quel que soit le format : bâtir un avenir plus juste, inclusif et durable en mettant le leadership féminin au centre.
Sokhna s'apprête aujourd'hui à faire le chemin inverse : quitter progressivement la France, où elle a vécu 20 ans, pour s'installer à Dakar. Le temps de laisser ses enfants finir leurs études. Et ensuite ? L'avenir est déjà en marche. Après le Sénégal, la Guinée. Puis d'autres pays d'Afrique. Une même conviction : les femmes africaines ont un rôle central à jouer.
"Tout est possible"
« Tout est possible » : ce n’est pas une formule creuse, c’est une vérité vécue. Sokhna Ndiaye le répète, le montre, le transmet. Le Campus Africain du Leadership au Féminin est bien plus qu’un projet : c’est un manifeste vivant de cette conviction profonde.
« L’objectif est de doter ses pairs des compétences en vigueur dans le monde moderne en Afrique » et de contribuer à « l’autonomisation des femmes par la formation et le leadership ».
Et si c’était ça, le leadership ?