Une nouvelle recherche montre que les émissions de carbone ne soutiennent plus le développement humain au-delà d'un certain seuil
Une nouvelle recherche montre que les émissions de carbone ne soutiennent plus le développement humain au-delà d'un certain seuilUne fois qu'un pays atteint un certain niveau de développement humain, une augmentation des émissions de carbone n'améliore plus le bien-être, révèle une nouvelle étude. Ses auteurs proposent une nouvelle classification des pays pour rendre les politiques climatiques plus équitables.
Une étude menée par les professeurs François Gemenne (HEC Paris), Thomas Porcher et Raphaël-Homayoun Boroumanda (Paris School of Business), Antoine Giraldi (School of Engineering and Architecture, University of Applied Sciences Western Switzerland) et Simon Porcher (Université Paris Dauphine) met en évidence un schéma illustrant la relation mondiale entre émissions de carbone et développement humain, identifié sous le nom de « courbe de Champagne ».
Publiée le mois dernier dans Applied Economics Letters et s'appuyant sur des données provenant de 119 pays, cette recherche révèle que les émissions de CO₂ par habitant ont tendance à augmenter à mesure que les pays se développent, mais seulement jusqu'à un certain point. Une fois un niveau élevé de développement atteint, les émissions supplémentaires n'entraînent plus de gains en matière de bien-être (espérance de vie, éducation, revenu).
Les chercheurs ont utilisé l'Indice de Développement Humain (IDH) pour explorer cette relation. Ils ont constaté que les pays ayant un IDH faible (inférieur à 0,6) émettent des niveaux similaires de carbone par personne. En revanche, les pays avec un IDH supérieur à 0,8 présentent de fortes disparités d’émissions sans amélioration correspondante de la qualité de vie.
« La 'courbe de Champagne' remet en cause l’idée selon laquelle le développement doit nécessairement se faire au détriment de l’environnement », explique François Gemenne. « Nos résultats montrent qu’au-delà d’un certain seuil, consommer plus de carbone n’améliore plus les conditions de vie. Cela signifie que les pays développés peuvent réduire leurs émissions sans compromettre leur qualité de vie, un point crucial pour les politiques climatiques », ajoute le professeur d’HEC Paris.
Afin d'aider à concevoir des stratégies climatiques plus adaptées, les auteurs proposent de classer les pays en trois catégories selon leur capacité de transformation, c’est-à-dire leur aptitude à réduire les émissions sans compromettre le développement humain :
- Pays à capacité avancée (IDH supérieur à 0,8) : disposent des moyens financiers, technologiques et institutionnels pour découpler émissions et bien-être.
- Pays à capacité modérée (IDH entre 0,6 et 0,8) : doivent souvent arbitrer entre croissance économique et durabilité.
- Pays à capacité limitée (IDH inférieur à 0,6) : dépendent encore fortement de l’expansion industrielle pour améliorer les conditions de vie de base, rendant les réductions d’émissions difficiles sans soutien international.
Pour illustrer cela, l’étude présente trois cas représentatifs :
La Suisse (IDH supérieur à 0,9) montre une capacité avancée de transformation : malgré un niveau de vie élevé, elle a fortement réduit ses émissions de CO₂ liées à la consommation ces dernières années.
Le Costa Rica, classé dans la catégorie « capacité modérée », concilie amélioration du développement humain et investissements ciblés dans les énergies renouvelables, tout en continuant à faire face à des compromis en raison de sa dépendance industrielle.
Le Nigeria, classé en capacité limitée, affiche des émissions par habitant relativement homogènes, liées aux infrastructures de base et à l'industrialisation, rendant les réductions d’émissions de carbone plus difficiles sans soutien extérieur.
Ces trajectoires contrastées soulignent l'importance de stratégies climatiques différenciées et adaptées au stade de développement ainsi qu’au potentiel de transition de chaque pays. Selon les auteurs, ce cadre pourrait favoriser des approches plus équitables pour la réduction des émissions et apaiser les tensions lors de négociations internationales.
A ce jour, de nombreuses études ont examiné le lien entre pollution et croissance économique mais peu avaient analysé l'impact de la pollution sur le développement humain. Les auteurs suggèrent que leur classification pourrait guider des stratégies de développement durable alignées avec l'Accord de Paris, tout en veillant à ne pas freiner la transition des pays à faible revenu.